« Peur sur la Ville » permet un voyage dans le temps dans le Paris de 1974, qui complète les photos aériennes d’époque de Géoportail. Les voitures y sont partout, les vélos nulle part.
Pour les cinéphiles, « Peur sur la Ville » est un film qui marque le passage de la figure du truand à l’ancienne à celle du tueur « schizo-machin tendance paranoïde ». Pour les sociologues, « Peur sur la Ville » est remarqué pour sa première représentation dans un film grand public d’un marchand de sommeil s’enrichissant sur le dos d’immigrés clandestins. Enfin, pour les amoureux de Paris, toutes les scènes en extérieur dans la capitale permettent un voyage dans le temps dans le Paris des années 70, comme sur ce site dédié au film.
Mais c’est aussi un formidable témoignage vu du sol de l’omniprésence de la voiture dans Paris à cette époque, comme vont le prouver les images qui suivent. Les photos aériennes du Paris de 1973 disponibles sur Géoportail complètent le tableau.
Bien sûr, ce film n’est pas un documentaire, et la mise en scène influe énormément sur ce qui y est montré. Ainsi, Minos est le seul motard au guidon d’une grosse cylindrée que le réalisateur filme.
Cette image est certainement mise en scène, c’est la seule où l’on voit autant de mobylettes en même temps. Plus généralement, je pense que si la caméra avait capturé un deuxième motard sur une grosse cylindrée, la scène aurait été retournée pour des raisons de lisibilité de l’image. Même réflexion pour le port du casque.
Mais comme le montrent nombre de plans où des parisiens regardent discrètement la caméra derrière les fenêtres…
..impossible pour le régisseur de contrôler tout le contenu de l’image. Toutes les images prises des toits montrent les rues telles qu’elles étaient réellement. De même certainement pour tout plan très large dans la circulation, vu le nombre de rues filmées. Alors regardons ce film avec l’oeil d’un parisien de 2015.
Tout d’abord, qu’en est-il des cyclistes ? Eh bien, sauf erreur, ce film n’en montre que deux. Le premier est à l’abri derrière une voiture lors du tournage d’une poursuite dans une longue ligne droite de banlieue difficile à localiser précisément (Gennevilliers ? Si vous avez une idée, écrivez-moi) :
Et le deuxième cycliste est donc le seul qu’on voit dans Paris de tout le film, place de la Madeleine :
Tous les autres deux roues qu’on voit dans ce film sont motorisés. Spectaculaire ! Les automobiles, elles, sont partout. Elles sont garées à des endroits difficiles à imaginer maintenant.
Comme les contre-allées des Champs-Elysées :
De nos jours, les parkings y sont souterrains et ont disparu de la surface devenue piétonne :
On y croise maintenant seulement piétons et quelques deux-roues :
On voit aussi dans le film que la partie centrale du haut des Champs-Elysées était réservée aux taxis :
Maintenant c’est une bande où souvent quelques piétons prennent des photos dans l’axe de l’Arc de Triomphe en se faisant frôler par les automobilistes :
Le film nous montre également la Concorde en 1974 : Minos y arrive par la Rue Royale, on a le temps de voir une file de voiture parquées le long du trottoir à gauche.
Puis il file traverser la Concorde à vive allure…
Ces piétons-là sont un choix de la mise en scène, Belmondo étant ralenti plus tard par une traversée d’écoliers au même endroit.
Et, il file enfin dans le tunnel sans avoir a priori rencontré un seul feu sur toute la place. On remarque aussi un parking dans les arbres au fond de l’image.
En 2015 et depuis des années, ce passage à pleine vitesse est impossible : la sortie de la place qu’emprunte Minos est condamnée.
Pour l’anecdote, on voit encore sur la place de Concorde des traces d’un « couloir de courtoisie » pour les vélos, du début des années 1980 : le trajet par la droite a été condamné entre le film et la décennie suivante.
La file de parking Rue Royale a également disparu :
Et le parking dans les arbres a laissé place à des bancs publics :
Même s’il reste toujours une voie bloquée juste à côté pouvant faire encore office de petit parking près d’un espace vert, une relative rareté dans le centre de Paris :
Le plan de circulation est donc ainsi (vert : 2015, rouge : 1974). Maintenant les automobilistes y rencontrent deux feux après celui de la Rue Royale :
Concorde en 1973 n’était pas seulement un lieu où on pouvait accélérer sans feux, il y avait aussi des parkings :
Autre lieu où on a du mal à imaginer maintenant autant de places de parking : le pont de Beaugrenelle.
Le parking sur les ponts est maintenant interdit, et sur le pont de Beaugrenelle on a de nos jours deux voies de bus ouvertes aux vélos.
Belmondo fait une cascade sur un balcon du bâtiment en rouge à gauche. Ce qui donne à la caméra l’occasion de filmer la Rue Eugène Poubelle plus bas :
A cet endroit, des places de parking ont également disparu, pour des motifs plus mystérieux cette fois. Le bas de la Rue Eugène-Poubelle est condamné depuis des années, pour une raison qui m’est inconnue (écrivez-moi si vous savez pourquoi).
Les cascades de Bébel sur les toits ont cet intérêt de permettre d’observer des rues parisiennes pas forcément les plus touristiques. Ainsi du haut des immeubles des Galeries Lafayette et autour, on peut voir la place Diaghilev de l’époque :
J’ai choisi une image où on voit les piétons en haut à gauche collés aux voitures passant sans respecter leur priorité, l’effet est encore plus net dans le film. On voit d’ailleurs également un bus se faufiler : ce passage piéton n’est pas « protégé » par un feu, les piétons semblent y passer comme ils peuvent.
Le plot central est maintenant beaucoup plus important et boisé, même s’il n’est toujours pas vraiment utilisable par les piétons.
En regardant certains croisements de Paris en 1973 sur les photos aériennes, on retrouve ces larges étendues de bitume. Comme au croisement du Boulevard Rochechouart avec la rue Gerando et d’autres :
Croisement sur lequel il y a maintenant un ilot pour calmer tout ça, avec suppression des places de parking en épi au passage :
Idem pour la Place Blanche :
où un ilot sert aux piétons à traverser en deux temps.
On voit aussi dans le film qu’il y avait des places de parking le long du Boulevard Haussmann en face des magasins.
File de places de parking qui a maintenant disparu, avec même des barrières pour éviter le parking sauvage :
Dans la poursuite, on a aussi l’occasion de voir le haut du Trocadéro à l’époque :
De nos jours, le parking autour du terre-plein central a disparu. Quant aux cars de tourisme, ils sont toujours là, mais on essaye d’éviter qu’ils bouchent directement la vue.
Les vues aériennes à quelques mètres de là sont saisissantes : le bas du Trocadéro servait de parking…
Alors qu’il est maintenant piéton..
Plus fou encore : les automobilistes allaient se garer jusque sous la Tour Eiffel !
Mais où casaient-ils les touristes ? D’après les photos aériennes, ce parking exista jusque dans les années 90. Je l’ai donc sûrement vu de mes propres yeux, mais n’en ai aucun souvenir.
Continuons avec d’autres vues aériennes spectaculaires. Le parking du Louvre :
Imagine-t-on la Pyramide cernée de voitures ?
Quant aux voies de circulation, elles sont toujours bondées, mais au moins les véhicules ne peuvent s’y arrêter.
Autre lieu surprenant : la place devant la Mairie.
Maintenant les concerts n’y sont plus des concerts de klaxons.
La place de la Bastille avait également un parking auto
Celui-là restera bien longtemps avant de laisser la place à une place piétonne (ici, avec un skate park temporaire).
Comme le Paris de 1973 est intégralement disponible en photos aériennes sur Géoportail (même si l’exploration n’est pas très ergonomique), on peut aller regarder aussi d’autres lieux de parkings surprenants, comme le Canal de la Villette :
ou encore les places le long des ilots autour de la place de la Nation.
A noter : en 1973, le parking de Notre-Dame était déjà souterrain, le parvis était piéton, et l’ancien parking à la place du futur Georges Pompidou déjà détruit par les travaux de celui-ci.
Pour conclure, revenons au film. La signalétique indiquant l’autouroute pour Lyon saute aux yeux lorsque la caméra est dans la voiture passant Place Denfert-Rochereau..
..puis Boulevard Auguste Blanqui :
De nos jours, sur la première image on trouve juste une indication du périphérique :
Sur la second image, on voit que les places de parking derrière les arbres ont disparu. Et comme symbole, à la place du panneau pour l’autoroute, on voit maintenant (Septembre 2015) un feu avec un sas cyclable au bout d’une bande cyclable, avec un tout nouveau panonceau tourne-à-droite.
Dans ce film, Henri Verneuil avait fait de Paris un Paris froid en filmant les nouvelles tours oppressantes. Le quartier de la Défense et celui de Beaugrenelle prenaient de l’ampleur. Mais le Paris du début des années 70 serait sans doute oppressant pour un parisien actuel pour des raisons bien plus à ras de terre.
PS d’Octobre 2015 : Je suis tombé sur des chiffres de pollution à Paris depuis les années 1950. Ouh là, ça calme (même si ce graphique est présenté comme le plus spectaculaire, cf la source ). Et ça, les images ne le montrent pas.
A voir également, un édito d’époque sur les transports parisiens. Le début concerne essentiellement la voiture, et notamment le parking sauvage.
13 octobre 2015 at 13 h 27 min
Sympa comme tout cet article merci 🙂
13 octobre 2015 at 23 h 17 min
Merci pour cet article ( et ce film génial)
Certes les parking plein air ont régressés mais le double stationnement et les voies de bus sont très très souvent occupées par des voitures et camions.
Grands boulevards, St Antoine, les rues ou les voitures se garent dans des endroits interdits sont par centaines et il y a très peu d’enlèvements et verbalisations.
Du coup pas mal d’avenues ressemblent encore à 1973…
14 octobre 2015 at 21 h 28 min
Bonjour … la scene avec le velo ce n’est pas Gennevilliers mais Villeneuve la Garenne. Pas tres loin de la A86 …
Et le braquage au debut du film la banque est en fait la mairie d’Asnieres « deguisee ».
La femme chute de l’ancienne tour UAP a Charras a Courbevoie.
14 octobre 2015 at 23 h 02 min
Bonjour merci de l’information. Pouvez vous me dire vers où dans Villeneuve la Garenne ? Je ne suis pas le seul à m’être cassé les dents sur la localisation de cette poursuite.
15 octobre 2015 at 9 h 01 min
Bonjour,
Bon je me rends compte que Bruno a également trouvé la ville où on voyait le vélo derrière la R12.
Alors avec uniquement une photo, c’est un peu difficile (il faudrait que je revois le film) mais je pense avec une quasi certitude qu’il s’agit de l’avenue Jean Jaurès à Villeneuve la Garenne, et la photo a donc été prise, à mon avis, plus précisément ici: https://goo.gl/maps/yq8TXNw74YG2 où là: https://goo.gl/maps/M2b3s1JBA6y
🙂
15 octobre 2015 at 10 h 18 min
Merci à vous deux, je fais suivre au site de référence sur le film donné en haut de l’article !
15 octobre 2015 at 9 h 20 min
Il me semble que c’est l’actuel boulevard Gallieni. A l’epoque il y a avait des entrepots et des entreprises comme Davum a cet endroit.
15 octobre 2015 at 11 h 31 min
Bruno,
Il faudrait revoir la séquence en entier mais je ne pense pas que ce soit le boulevard Gallieni.
Sur la capture d’image on voit une ligne à haute tension qui est présente sur l’avenue Jean Jaurès mais pas sur le boulevard Gallieni… 😉
3 novembre 2015 at 10 h 05 min
Hey M@rco !
J’ai revu le film la semaine derniere.
Tu as raison. La poursuite commence a la mairie d’Asnieres. Elle continue sur le boulevard Gallieni et arrive devant Davum ils tournent a gauche sur l’avenue Marc Sangnier pour ensuite arriver sur Jean Jaures.