Boulevard Morland, pendant quelques mois, une piste a été remplacée par la route. Un détour fut proposé, mais la ligne droite était trop tentante.
En 2005, le Journal du Dimanche publiait un avant-projet du plan anti-voiture de la Mairie de Paris. Parmi diverses mesures, on y trouvait la fermeture à la circulation du Boulevard Morland. On n’ira pas jusque là, mais dès 2006, le Boulevard Morland fait partie du plan pour le Quartier Vert Arsenal.
Cette piste est « sur le trottoir ». Mais il faut comprendre en fait qu’il s’agit d’un trottoir élargi, gagné sur la route.
Il n’y aura finalement pas de barrières ou de piquets (ou en tout cas, il n’y en a pas maintenant).
De nos jours, on peut toujours deviner grâce aux arbres, la ligne de l’ancien bord du trottoir. Il était bien étroit entre la Rue de Schomberg et la Rue Agrippa d’Aubigné, comme le montre cette photo aérienne de 1987 :
La photo de 1991 qui suit confirme la présence de places de parking sur le boulevard, le long du parking ce qui était à l’époque un bâtiment de la Préfecture de Police.
Toutefois, pour une raison que j’ignore, on ne trouve apparemment aucune voiture sur ce parking sur les photos aériennes après les années 80, tandis qu’il était facilement plein avant (cf par exemple cette photo de 1973).
Bref, là encore, ce n’était pas « mieux avant », et la disposition actuelle est plus apaisée pour les cyclistes et les piétons (cf cette photo Street View de 2014)
J’ajoute que bien que situé dans le centre de Paris, ce petit boulevard a la particularité de n’être utilisé par aucune ligne de bus. Ainsi, pas d’arrêt de bus et de présence de groupes de piétons : cette piste bidirectionnelle est très roulante.
En 2013, des travaux du chauffage urbain interrompent la piste, remise ensuite en état. Classique.
En 2015, la situation fut beaucoup plus inhabituelle : les travaux du chauffage urbain prirent une voie sur la rue de l’autre côté de la piste cyclable. Faire passer toute la circulation sur une seule voie est jugé trop perturbant. Il y eut alors aussi des travaux en face…
.. pour tout simplement couper la piste cyclable et la remplacer par une voie générale temporaire. Spectaculaire.
La modification des flux donna donc ceci (rouge : voies générales, vert : piste cyclable). A la place de :
on eut :
avec comme déviation théorique le passage par les pavés de la Rue Sully (flèche en trait plein).
Mais le passage en ligne droite sans pavés (traits pointillés) restait très tentant.
Alors, que se passa-t-il en pratique ?
Tout d’abord, ces travaux furent l’occasion de constater l’ampleur de la plaie que constitue le marché passé avec le très agressif afficheur Exterion, qui détient la concession des palissades de chantier public à Paris jusqu’en 2027 (vu l’impact sur les rues de Paris, j’y reviendrai). En quelques jours, les panneaux apparurent.
Oui, ces plots ne servant qu’à marquer la séparation entre la piste et la voie…
..furent considérés comme « chantier » autorisant la présence d’une publicité :
Admirez la présence de bouts de palissades autour du panneau, ne correspondant à aucune logique en terme de protection de chantier. La palissade de publicité devient l’unique élément à protéger par d’autres palissades. Dans ce cas précis, Exterion retira ce panneau bien avant la fin du chantier (l’autre restera jusqu’au bout).
A peine le temps de voir trois ou quatre campagnes, dont une pour des automobiles. Comme ce fut le cas aussi pour la Place Saint-Michel récemment, cet afficheur tente donc de placer des panneaux à la moindre occasion, avant de céder quelquefois sous la pression si l’abus est trop grand.
Revenons au vélo.
Pour détourner les cyclistes de la ligne droite et les faire passer par les pavés de la Rue de Sully, il y eut une première vague de signalisation.
Mais l’effet fut très relatif. J’ai même eu un témoignage de bonne foi montrant que le dernier panneau pouvait être ignoré inconsciemment. Il faut dire que sa flèche en avant, peut sembler passer pour une invitation à aller tout droit (sur la piste) et non légèrement à gauche.
De plus, il faut bien dire que la vie du cycliste parisien lui enseigne l’art de se faufiler entre les obstacles placés sur sa route.
On vit alors beaucoup de cyclistes continuant d’aller sur la piste, en utilisant ensuite le trottoir s’ils allaient vers l’Arsenal, et le trottoir ou la voie générale s’ils allaient vers Sully. Les deux emplacements censé bloquer la circulation furent traités par beaucoup comme des voitures mal garées : un obstacle à contourner.
Résultat : Je n’ai jamais vu le moindre cycliste mettre pied à terre. Et même si le flux piéton est plutôt faible, il pouvait y avoir facilement un cycliste pas trop à sa place.
La ligne droite restait trop tentante. Alors il y eut une deuxième couche (de peinture)
Ce qui veut dire aussi que les marquages anciens furent effacés.
Mais très vite, il y eut aussi des barrières pour tenter de détourner les cyclistes de cette ligne droite. Et des panneaux expliquant que la déviation était obligatoire.
Mais une ligne droite, cela reste tentant, surtout quand la déviation est pavée.
Côté Sully, la barrière semblait a priori efficace pour envoyer une majorité de cyclistes Rue de Sully (même si certains prenaient le trottoir – bien plus large que Boulevard Morland- pour éviter les pavés)
Côté Arsenal, l’espace laissé pour le passage des piétons restait assez utilisé par les cyclistes.
Y compris par ceux qui venaient de Sully en ayant contourné les premières barrières pour rouler sur le trottoir.
Il aurait été trop long de faire des statistiques, mais je ne serais pas surpris qu’un gros tiers des cyclistes venant de l’Arsenal aient été des contrevenants. Venant de Sully, le contournement des barrières m’a semblé bien plus anecdotique (même si un cycliste qui s’engageait pouvait sans doute facilement en entraîner d’autres avec lui).
La barrière côté Arsenal fut même vite déplacée (a priori par un usager). Paradoxalement, une fois le constat fait que la ligne droite continuait d’attirer les cyclistes, cette ouverture devenait moins gênante en n’envoyant pas les cyclistes vers les piétons.
Et c’est ainsi que la situation dura jusqu’à la fin du chantier. On peut crier à l’incivisme, mais on peut aussi penser que la situation a finalement convergé vers un bon compromis :
- côté Sully, les barrières sont restées intactes – les rares cyclistes qui passaient outre devant alors forcément passer par le trottoir étroit, on peut dire que le comportement le plus gênant a bien été considéré comme tel.
- côté Arsenal, la piste a été officieusement « ouverte », pour faire un trajet passant par la piste et la route, sans forcément gêner les piétons – le comportement a été jugé moins gênant, malgré une interdiction équivalente à celle côté Sully.
Il y eut donc une sorte de sens unique.
Un dernier mot : une des raisons pour lesquelles il aurait été de toute façon difficile de détourner totalement le trafic cycliste, est la présence d’une station Vélib sur les lieux de l’ancien parking des anciens locaux de la Préfecture de Police.
Cette station de plus de 30 places est « le » bon plan du coin, la station vers laquelle aller quand les stations du quartier Saint-Paul sont pleines, car elle se remplit en dernier. En venant de Sully, le chemin le plus court est alors vraiment tentant dans un tel cas.
Enfin, une fois les travaux terminés, on a eu la preuve qu’une piste cyclable pouvait se construire rapidement . Elle fut de retour très rapidement, en un jour je pense, et moins de deux certainement.
8 mars 2018 at 14 h 17 min
Génial