Les sas cyclables de Paris

Les sas cyclables ont une grande utilité. Pour les piétons. Sans ironie.

Mais commençons par le commencement.

Il existe plusieurs études sur les sas cyclables en France, sans compter les expériences menées par les associations. A Nantes, à Bourges, à Lyon, à Paris, etc.. On peut trouver une recension de résultats sur ce lien.

Ce billet a pour but d’illustrer certains de ces résultats que connaissent bien leurs usagers à Paris, et d’attirer l’attention sur un résultat moins souvent discuté.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un sas cyclable ? Une plaquette de la préfecture de Paris explique clairement :

Pas moyen de trouver ailleurs une confirmation qu’à Paris ces sas seraient effectivement limités aux seuls cycles. Je ne trouve que le code de la route qui inclut aussi les cyclomoteurs dans ces sas, et ce texte qui explique :

Les cyclomoteurs y sont donc autorisés (c’est ainsi plutôt un sas “sans permis”). Et chacun sait que les motards les utilisent, même avec de plus grosses cylindrées que celles autorisées. La photo (qui doit dater d’un bail) de la plaquette de la préfecture (de 2015) montre d’ailleurs cette infraction. [Note Juillet 2015 : le décret PAMA va retirer l’autorisation données aux cyclomoteurs. La plaquette de la préfecture deviendra correcte !]

Que risquent-ils d’ailleurs ? En théorie, comme le précise le CEREMA, on pourrait considérer que l’article R412-30 s’applique et que le motard ou le conducteur risque une amende de 4ème classe et un retrait de points car il a franchi la ligne d’arrêt du feu rouge (mais avec un sas, il y en a deux…). L’article du code de la route qui mentionne explicitement les deux lignes d’arrêt est le R415-2, prévoyant une amende seulement de deuxième classe. Et en pratique ?

Cet article du Parisien répond donc entre 0 et 70 par an suivant celui qui pose la question (et en se limitant à la verbalisation la plus légère, la théorie du CEREMA n’étant sans doute jamais appliquée).

Bref, encore un cas où la loi est tellement peu respectée, qu’une répression sur ce point n’aboutirait selon moi qu’à un affaiblissement de la loi, un jeu bien dangereux. Je pense donc que les motos sont a priori là pour rester dans les années à venir.

Une majorité de motards se servent donc de ce sas, mais grâce à celui-ci, le passage piéton est bien plus respecté. On trouve le même genre de résultat pour les automobilistes. Mais surtout, les chauffeurs de poids lourds s’arrêtent donc un peu plus loin du passage piéton. De quoi justifier l’existence de ces sas, qui combattent efficacement le danger de l’angle mort pour les piétons.

Et les cyclistes là-dedans ? Dans une ville comme Paris, où les motards sont nombreux, les sas cyclables sont parmi les endroits les plus puants, pollués et bruyants de la ville.

Bref, alors que les sas sont censés éviter cette situation (le non respect de la voie de bus, c’est cadeau) :

on se retrouve bien souvent avec :

Rien ne change pour le cycliste, mais le passage piéton est mieux protégé qu’en l’absence de sas.

Pas étonnant donc de constater que souvent le cycliste s’avance :

voire même franchisse le feu et le passage piéton (ce que je peux faire dans de tels cas sans trop me poser de questions, aucun jugement de valeur donc dans mes propos).

Les chiffres, c’est bien, mais pour voir à quel point les nombreux motards utilisent les sas cyclables parisiens, voici une vidéo très parlante (vous pouvez la passer en HD si le lecteur ne le propose pas par défaut) :

Autant dire que pour les cyclistes, le sas cyclable est intéressant surtout s’il est couplé avec le tourne-à-droite / va-tout-droit pour s’en échapper ! L’annonce de leur généralisation à Paris est donc une sacrée bonne nouvelle pour ceux qui sur ce point ont des remords vis-à-vis de la loi.

Par contre, ce qui ne changera sans doute pas, c’est la difficulté de se servir du sas cyclable pour tourner à gauche.

Tout d’abord, même avec le guide du feu piéton, en pratique il faut une certaine assurance pour ne pas laisser passer un cycle de feu entier, histoire d’être sûr d’avoir tout le feu rouge pour se déplacer dans le sas. Mais que faire avec un sas non respecté ?

Ici dans le croisement difficile des boulevards Saint-Germain et Saint-Michel, le sas cyclable très pratique en théorie pour tourner à gauche, est peu utilisé (il faudrait se faufiler comme la piétonne).

Idem ici pour aller Rue Saint-Jacques. La présence de policiers en faction n’a guère d’influence sur le non-respect du sas (aspect abordé dans une des études citées plus haut).

La présence de motards de la police non plus d’ailleurs.

Le souci devient encore plus grand quand un aménagement est conçu en supposant que les sas seront respectés, comme c’est le cas depuis peu à deux endroits dans le parcours théorique à Austerlitz.

Et enfin, quand il y a une circulation dense, même le concept de passage piéton protégé par des feux disparaît un peu, alors ne parlons pas du sas cyclable :

Mais restons positifs : il existe un autre endroit où les sas peuvent être utiles pour rassurer les usagers, ce sont les couloirs de bus. Ils sont pour l’instant rares dans de tels endroits, et de façon générale les conducteurs de bus ne les respectent pas forcément non plus. Mais eux écouteront une consigne officielle.

Avant de conclure, voici une illustration assez amusante de l’effet de la position de la première voiture sur les suivantes (effet mentionné dans les études plus haut). Ces photos ont été obtenues en quelques minutes (peut-être que la présence d’un photographe rend l’effet encore plus flagrant ?).

..et même..

Alors, quel est cet effet peu discuté que j’évoquais en introduction ? Eh bien, l’étude parisienne mentionne que pour les piétons séniors, les sas cyclables sont une source d’anxiété.

Il faut en effet bien dire que lorsque les motards sont ainsi en première ligne..

..le passage au vert semble donner le signal de départ d’une course.

A la fois source de sécurité et de stress pour les piétons, portant le nom de sas cyclables alors qu’ils servent beaucoup aux motards, rarement source de verbalisation alors que leur non-respect est théoriquement une infraction grave, … ces sas cyclables sont décidément un cas d’école de la différence entre pratique et théorie en matière de circulation urbaine.

Juin 2015 : Ajout de la vidéo du « sas » Rivoli Concorde.

Galerie des photos de l’article :